- ÉNERGIE PSYCHIQUE
- ÉNERGIE PSYCHIQUEÉNERGIE PSYCHIQUELorsque, à la fin du XIXe siècle, les psychologues débattent à propos de la dimension énergétique des phénomènes psychiques, ils s’inspirent des travaux de la physique. Le concept thermodynamique d’énergie semble alors adéquat pour traduire tous les phénomènes de «changement» dans la nature. Il semble propre à quantifier leurs aspects de transformation qualitative. Par ailleurs, la psychologie et la psychiatrie héritent de trois siècles de débats épistémiques sur la question du parallélisme psychophysique et l’arrière-fond philosophique issu du dualisme cartésien esprit-corps.La conception freudienne d’une énergétique liée aux phénomènes psychologiques est née des travaux théoriques de Joseph Breuer. Celui-ci tente une interprétation psychologique de la distinction physique entre «énergie libre» et «énergie liée». Il conçoit le système nerveux comme un réservoir d’énergie potentielle ou «tension nerveuse». Ce réservoir se remplit d’énergie par les excitations externes, les affects, la pression des besoins organiques. Il se vide de cette énergie par les voies motrices, émotionnelles, instinctives, etc. Breuer fait l’hypothèse d’un «principe de constance», qui postule l’existence d’un niveau optimal constant d’accumulation d’énergie — de tension nerveuse — nécessaire pour que l’organisme et le psychisme puissent fonctionner avec le meilleur rendement possible. C’est parce qu’elle est intégrée à des constantes d’organisation très générales que l’énergie nerveuse peut librement circuler. Breuer comprend cette libre circulation de la tension neuropsychique comme «énergie cinétique». Par énergie liée, il désigne les structures de fonctionnement du système nerveux. L’énergie libre, ou fonctionnellement disponible, est seconde par rapport à l’organisation psychique de l’énergie liée.Freud passe d’une énergétique du fonctionnement psychique à une énergétique de la structuration du conscient. Il inverse le processus de constance. L’énergie libre, mobile, est première; elle correspond aux processus primaires de l’inconscient. L’énergie liée, structurée psycho-organiquement, est seconde; elle correspond aux processus secondaires du système préconscient-conscient. Reprenant le modèle du réservoir, Freud pose deux sortes d’écoulements de l’énergie: «libre », c’est-à-dire correspondant à une décharge immédiate, évacuant complètement l’état diffus de tension; «liée», lorsque l’écoulement est canalisé, localisé, détourné.Freud transforme le principe de constance dans le sens d’une analogie avec le second principe de la thermodynamique. L’organisme en général tend à une réduction maximale du niveau d’énergie liée. Tous ses comportements, toutes ses régulations internes s’expliqueraient par la recherche d’une tension minimale, qui sera satisfaite soit par la fuite ou l’évitement des excitations externes, soit par la clôture et l’évacuation de toute énergie accumulée. La satisfaction ou «détente » neuro-psychique exprime une tendance de l’organisme à la fermeture, c’est-à-dire à la mort et à l’indifférence énergétique. La constance du vivant signifie une tendance vers la moindre activité vitale. Seules des forces externes contraignent la vie à trouver de nouveaux chemins vers la mort et l’indifférenciation physique. Sur le plan psychique, l’inconscient sera le système qui recherchera au maximum les décharges énergétiques et l’évitement de toute accumulation de tension. Le système préconscient-conscient résiste à cette «pente entropique» en structurant cet écoulement.Tous les aspects du dualisme freudien vont trouver là leur fondement physicaliste. Le retour à l’inerte fonde le «principe de plaisir» (évitement du déplaisir-recherche du plaisir), la constance de résistance au plaisir fonde le «principe de réalité» (qui va dévier la tendance à la satisfaction immédiate). En 1920 (dans Au-delà du principe de plaisir ), Freud pose comme fond de toute vie psychique une tendance au zéro énergétique. Par un contresens sur le bouddhisme, il comprend cette tendance comme «principe de nirvana», selon lequel le plaisir serait libre laisser-aller de toute organisation vers l’anéantissement. Émergeant de ce fond d’indifférence, l’organisation de la psyché s’origine dans un dualisme des pulsions: la «pulsion de mort», visant à l’élimination de toute tension et au retour à l’indifférence énergétique, et la «pulsion de vie», qui tend à la préservation d’une différence de potentiel entre l’énergie libre et l’énergie bloquée dans les structures psychiques par la constitution douloureuse du moi.La pulsion désigne une poussée énergétique, une source d’excitation interne continue liée au fonctionnement même de l’organisme. Freud établit une autre dualité encore: la pulsion sexuelle qui tend à la conservation de l’espèce s’oppose à toutes les autres pulsions (par exemple la pulsion de la faim), qui sont liées à l’autoconservation de l’individu. Le dualisme psychologique de la sexualité et du moi trouvait ici son fondement. La libido — l’énergie de la pulsion sexuelle — exprime la logique de la vie psychique: la sexualité et la mort de l’individu répondent à la même tendance à l’indifférenciation énergétique vitale et psychique. Individualité et sexualité sont donc en contradiction. Toutes les structures du moi seront des expressions détournées de cette énergie provenant de la sexualité, énergie qui signifie une menace constante et omnipotente de dédifférenciation et de désintégration pour l’individu.
Encyclopédie Universelle. 2012.